Meilleurs voeux 2011

Publié le par V. Gabralga

J'ai toujours quelques mots coincés dans mon sac pour le cas 

où il me viendrait l'envie de diffuser du bonheur…

Père Noël, si je vous écris ce soir, moi Sébastien, c’est parce que nous marchons dans le noir depuis trop longtemps. Non, ce courrier n’est pas la 5 948 647eme commande d’un enfant rêvant de garnir généreusement ses pantoufles devant le sapin, ce serait plutôt la missive d’un ancien gamin au cœur tendre, un message de 31 décembre, une lettre de réclamation.

Voyez-vous, cher vieil ami à barbe blanche, il m’est impossible de passer sous silence les espoirs de tous ces enfants qui n’ont pas eu la visite de votre céleste harnachement…

Parole d’homme, croix de bois, croix de fer, si je mens, je vais en enfer.

Avez-vous écouté France Inter, lu le magazine des miséreux, vu le Canal + des nécessiteux et des sans famille ? 

Non, vous et vos lutins étiez trop occupés sans doute à passer votre hotte dans les conduites tordues des cheminées, et les canaux encombrés d’Internet. Trop inquiets de savoir comment livrer à temps les jouets des enfants bien-portants, dans des quartiers respectables, au coin du feu des gens bien-pensants et si possible généreux avec le denier du culte…

Il est vrai que, pour votre défense, la neige était abondante cette année et que vos rennes enrhumés ne savaient plus très bien flairer le bon chemin ; j’en conviens.

Alors, je vous le demande solennellement Père Noël, qu’avez-vous fait pour Hajrudin, enfant bosniaque survivant depuis trop longtemps dans un immeuble éventré, où même les courants d’air glacé s’excusent de déranger les disparus, à commencer par son père et son grand-père exécutés sans jugement dans une guerre fratricide aussi cruelle qu’inadmissible ? Qu’avez-vous fait pour Oumapathi, petite fille indienne du couchant, ouvrière depuis l’âge de 7 ans dans le chantier de démantèlement des navires de Mangalore, risquant chaque jour sa vie entre projections de poussières d’amiante, émanations de gaz toxiques, ingestion de métaux lourds, « cadeaux » importés directement des pays à haut niveau de vie, USA, Europe et Japon ? Qu’avez-vous fait pour Zamaras, esclave mineur des mines d’or du Pérou, fouetté sans état d’âme par des contremaîtres mercenaires, n’ayant de comptes à rendre à personne ; sauf peut-être à leurs employeurs qui jouent au monopoly avec les traders de Wall Street ? Qu’avez-vous fait pour Vivi de Bandung, fillette de 9 ans, achetée à ses parents démunis comme « petite main » ? Cette môme maigre, déjà plusieurs fois violée ; collant 10 heures par jour des semelles à des chaussures de sport de marques renommées, produites pour 100 Ringgits en Malaisie et vendues 150 Euros en Allemagne ? Qu’avez-vous fait pour Pantxo de Korhogo, Côte d’Ivoire, boy de 12 ans loué à bas prix à des coopérants français pour être 24 h / 24 h baby-sitter de leurs enfants à peine moins âgés que lui ? Qu’avez-vous fait pour Ashley, 14 ans, autiste de Rochester dans le Minesota, délaissée par ses parents dans un centre de soins spécialisés, et qui n’ont pas pris le temps de lui rendre visite depuis 5 ans ? Qu’avez-vous fait pour Czeslawa, cette trop jeune prostituée Polonaise, que je croise chaque soir, occupée, en toute saison, à faire ses avances rue de l’Espérance dans le 13e arrondissement ? 

Et voulez-vous que je continue Père Noël ? La liste est tellement longue de ces enfants et ces adolescents qui, chaque année, ne reçoivent en cadeau que leur anonymat, leur misère, leur souffrance, fruits d’un destin qu’ils n’ont pas choisi !

Oui, Père Noël, je suis en colère contre vous et tous vos collègues qui se prélassent sans rien faire pendant des semaines dans les devantures des magasins, sur les toits des maisons, aux balcons et fenêtres de nombreuses habitations, dans les pages douillettes des magazines, les écrans confortables de nos télévisions, et même sur les bûches glacées et autres déserts de circonstance… 

Mais qu’attendez-vous pour leur botter le cul à ces fainéants ? 

Je ne sais pas, moi, à votre place, j’aurais déjà créé un syndicat, peut-être même une fondation internationale, voire une ONG ! Car vos cousins au bonnet rouge et à la barbe blanche, où qu’ils soient dans le Monde, au Pôle Sud ou au Pôle Nord, sous les tropiques, sur les autres continents, ne valent pas mieux que vous ! 

Oui, je sais, vous allez encore me raconter des sornettes, que vous aussi vous avez été touché par La Crise, et que vous avez été obligé de licencier – à contrecœur - des millions de lutins dans vos fabriques de jouets ; que vos centres de tris – là-haut dans les nuages – ont été sévèrement perturbés par la grève massive des Pères Noël juniors, eux-mêmes inquiets pour leur retraite : dont on dit que l’âge de départ passerait bientôt de 574 à 599 ans ! 

Oui je sais tout cela ! J’ai même pu discuter avec l’un de vos rennes la nuit du 24, alors que votre traîneau faisait halte au Jardin de la Montgolfière. Je lui ai offert une cigarette qu’il a immédiatement cachée dans ses bois pour la fumer plus tard, tout à son aise. Lui aussi m’a expliqué sa crainte de voir le monde anéanti par un système économique devenu aussi fou qu’incontrôlable ! Tenez, me disait-il, savez-vous que pour 61 Euros l’hectare T.T.C., on peut d’ores et déjà acquérir via Internet une parcelle de terrain nu sur la Lune ? Et ceci en tout impunité, alors que le traité international de 1967, signé par 125 pays – dont la totalité des puissances spatiales de l’époque - interdit toute appropriation par l’un d’entre eux du satellite de notre bonne vieille Terre ! J’avoue que pour vous Père Noël, vous qui avez, comme tout le monde le sait, l’essentiel de vos installations sur la Lune, il y a de quoi se faire du mouron…

J’en conviens, les temps sont durs, même pour un être exceptionnel comme vous. Cependant, je vous en supplie, ne baissez pas les bras (sinon les jouets vont tomber par milliers sur les routes et les terrains vagues, et non dans leurs petits souliers !) ; ne vous laissez pas influencer par tous ces Pèrenoëlologues qui ratiocinent à longueur d’année à votre sujet, par tous ces politiciens qui croient encore au Père Noël (Le faux, pas vous évidemment !) lorsqu’ils annoncent une nouvelle année de plein emploi, sans guerres et sans catastrophes naturelles, sans raz-de-marée économiques, sans chasse à l’homme pour les clandestins, sans médicaments assassins, sans hausse des prix et sans OGM ! 

Mais revenons à nos chers bambins ! 

J’étais ému ce 25 décembre, en voyant qu’au Resto du Cœur de la rue Julia Bartet, à la Porte de Vanves, les bénévoles avaient ajouté une station dans la file de distribution des repas. Tous les mômes recevaient une grande pochette décorée en carton, parfois aussi grande qu’eux, dans laquelle ils trouvaient des petits trésors, friandises et jouets recyclés. Mon Dieu, j’en avais les larmes aux yeux. Si vous aviez pu voir le sourire de ses enfants, oubliant pour quelques instants, quelques heures, l’indigence de leur quotidien ! Même les adultes avaient quelque chose de nouveau dans leur regard, lorsqu’on leur tendait, avec le sourire et un « Joyeux Noël » en bouche, un petit sac rempli de noix, de dattes et de mandarines…

Oui, pour eux vous étiez là, Père Noël, mais pour les autres ? Tous les autres ?

Je crois que tous les enfants du monde ont le droit, au moins un jour par an, de connaître la joie de recevoir un cadeau et le plaisir d’être aimé. Faites quelque chose ! Je ne sais pas moi, lancez une pétition sur Facebook ou écrivez à l’ange Gabriel ! Il est grand temps, il…

 

*  *

*

 

- Père Noël ! Vous m’entendez ?

- Hum ! Qui ose me déranger pendant ma sieste…. Oh ! Ça alors ! L’ange Gabriel ! Cela fait bien longtemps que vous n’êtes pas venu sur la Lune ! Quel bon Dieu vous amène ?

- Arrêtez vos plaisanteries Noël, je viens pour une affaire pressante.

- Vous m’en direz tant ! Satan a encore échappé à votre vigilance ? C’est vrai que surveiller l’ensemble des cieux, il y a de quoi y laisser ses plumes ; c’est un peu comme si on voulait faire passer un chameau par le chas d’une aiguille… 

- Saint Matthieu, XIX, 24…

- Vous connaissez vos classiques par cœur cher ange.

- Je viens à propos d’une lettre de réclamation…

- Ah la lettre de Sébastien ? Je sais, je l’ai là dans la poche droite de mon manteau rouge, avec les 347 568 autres messages de protestation, et…

- Et vous l’avez lue ? 

- Non, juste les premières lignes. Vous savez, pour moi, le courrier est annuel, alors j’attendrai bien l’été prochain pour y répondre.

- Vous auriez pourtant dû la lire, il y a urgence !

- Mea culpa, saint ange, mais regardez comment vont les affaires en ce moment ; il n’y a pas que sur Terre que nous connaissons La Crise. Il ne vous a sans doute pas échappé que j’ai été obligé de licencier le mois dernier trois millions de lutins dans mes fabriques de jouets ; et que mes centres de tris ont été sévèrement perturbés par la grève massive des Pères Noël juniors, presque tous mobilisés contre la réforme des retraites ! Non, rien ne va plus Gabriel, je vous le dis. Tenez, j’ai même surpris ce matin un de mes rennes en train de fumer dans les toilettes ! Vous vous rendez compte ! Je me demande d’ailleurs où il a bien pu se procurer cette cigarette et…

- Cessez vos jérémiades Noël, et lisez s’il vous plaît, sans plus tarder !

 

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*

 

Service des urgences à l’Hôtel Dieu, Paris, presque sous la protection des tours de Notre Dame.

- Violaine ? Où êtes-vous ?

- Ici, Docteur Vilhjalmur

- Ah, toujours le même cirque ! Je hais les nuits de 31 décembre ; entre les fêtards alcooliques qui se cassent la gueule et les personnes seules qui essayent de se suicider, nous ne savons plus où donner de la tête !

- Vous oubliez le pompier tombé de son échelle alors qu’il voulait soustraire une mère et son enfant des flammes de l’incendie rue de Tolbiac, et puis aussi ce SDF trouvé comme mort quai Panhard et Levassor, saisi dans son sommeil par le froid de la nuit…

- Que dit la Police ?

- Sans papiers sur lui, ils ne peuvent pour l’instant joindre sa famille. Ils tentent de retrouver son identité à partir de ses empreintes digitales.

- Un sans papier en plus ! Bon, écoutez Violaine, inutile de nous acharner à faire vivre ce bon à rien. Nous manquons cruellement de respirateurs artificiels disponibles. Si vous n’avez observé aucun signe d’amélioration d’ici à demain matin, 7 heures, alors débranchez-le !

- Mais non, c’est impossible, c’est inhum…

- Taisez-vous, j’en fais mon affaire. Après tout, un SDF de plus, un SDF de moins, quelle importance ! Les colonnes de faits-divers des journaux en sont remplies chaque hiver.

- Oh Docteur, je…

- Obéissez !

Et l’Interne de service, rappelé aux urgences par le vibreur de son Bip, planta là l’infirmière révoltée et sans voix.

Violaine passa dans le sas qui donnait accès aux salles de réanimation. Sans savoir pourquoi, elle se dirigea droit vers le lit du SDF. Elle fut surprise par la beauté et le calme profond qui émanaient du visage de cet homme. Elle constata sur les écrans que son état était malheureusement stationnaire, mais s’assura néanmoins que la cage thoracique se soulevait bien régulièrement, entraînant simultanément l’expiration du malade et le chuintement pneumatique du respirateur. Par habitude, elle poursuivit sa ronde dans la pièce adjacente où se trouvaient encore exposés les vêtements nauséabonds du malheureux. Elle s’en saisit pour les emporter à la laverie de l’hôpital. C’est alors, qu’une enveloppe tomba de la doublure du manteau de l’infortuné anonyme. Violaine s’en saisit et l’ouvrit en espérant pouvoir trouver quelque information qui aurait pu échapper aux inspecteurs de la Police.

Elle déplia une grande feuille de papier - régulièrement réglée d’une écriture bleue et appliquée - et en déchiffra sans difficulté les premières lignes…

 

J'ai toujours quelques mots coincés dans mon sac pour le cas 

où il me viendrait l'envie de diffuser du bonheur…

 

Père Noël, si je vous écris ce soir, moi Sébastien, c’est parce que nous marchons dans le noir depuis trop longtemps. Non, ce courrier n’est pas la 5 948 647eme commande d’un enfant pour garnir généreusement ses pantoufles devant le sapin, c’est plutôt la missive d’un ancien gamin au cœur tendre, un message de 31 décembre, une lettre de réclamation.

Voyez-vous, cher vieil ami à barbe blanche…

 

Mais l’infirmière fut interrompue dans sa lecture par l’alarme réjouissante d’un électrocardiogramme. Un cœur venait de se remettre à battre sans l’aide de la machine. C’était à chaque fois pour elle un vrai miracle qu’elle attribuait à son ange gardien, l’ange messager venu apporter la bonne nouvelle à Marie et au monde entier, l’ange Gabriel qui annonça aux bergers la naissance de l’enfant roi dans une étable de Bethléem… Oui, pour elle, chaque sortie de coma était un peu Noël. Et c’est à cet instant que Sébastien ouvrit les yeux.

 

 

V. Gabralga

31 décembre 2010 – 1er janvier 2011

 

Publié dans Nouvelle

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A
<br /> <br /> faire du bien est tujours un cadeau, réssusciter les gens est un miracle. Ta nouvelle est bien née pour démarrer 2011 avec l'espoir.<br /> <br /> <br /> Tous mes voeux aux Mots Migrateurs<br /> <br /> <br /> arielle<br /> <br /> <br /> <br />
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M
<br /> <br /> Merci pour cette belle histoire Philippe et ravie que tu aies renoué avec une nouvelle pour les voeux... <br /> <br /> <br /> Et j'en profite pour souhaiter une belle année littéraire à tous les membres des Mots Migrateurs :-)<br /> <br /> <br /> <br />
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